L’architecture, le patrimoine et l’urbanisme comme thèmes de recherche

CONCEPTION DE DEUX MAQUETTES DES HANGARS À DIRIGEABLE DE E.FREYSSINET À ORLY

Dans le cadre de l’enrichissement des collections de la Galerie Moderne et Contemporaine, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine désirait réaliser une maquette des Hangars à dirigeables conçus et construits sous la direction d’Eugène Freyssinet à Orly entre 1921 et 1923. Remarqués dès leur construction tant pour la prouesse technique de leur réalisation que pour leur qualité esthétique, ces deux gigantesques bâtiments jumeaux ont immédiatement été considérés comme une évidente réussite et ont marqué l’histoire de l’architecture en béton. 


Pour rappel, ces vastes structures en béton avaient été construites à l’issue d’un concours lancé par le génie civil pour la réalisation de hangars à dirigeables de 300m de long avec un espace intérieur suffisant pour contenir un volume libre ayant pour gabarit un demi-cercle de 25 m de rayon posé sur un rectangle de 25x50 m, ces hangars devant servir à abriter deux Zeppelins allemands que la France avait obtenus au titre de dommage de guerre. Les bâtiments monolithiques proposés par les Établissement Limousin et Cie avaient retenu l’attention de l’État par le procédé innovant et la mise en œuvre rapide proposés, qui, du fait de leur efficacité, permettaient une réalisation à un coût moins élevé. Ces procédés avaient été mis au point par Eugène Freyssinet (1879-1962), qui par cette réalisation s’affirmait comme un grand constructeur. Le mode de réalisation mis en œuvre ici, caractérisé par un cintre roulant, illustrait ce que Freyssinet considère comme la démarche la plus pertinente, pour qui l’ouvrage doit être pensé en fonction des méthodes et des moyens les plus adéquats pour le réaliser. A l’époque, ce procédé avait permis de réaliser un record tant en termes de dimensions du bâtiment réalisé que dans le faible volume d’utilisation du béton, du peu de main d’œuvre nécessaire ou de la rapidité d’exécution. 

Malheureusement détruits par des bombardements en 1944, les hangars d’Orly restent encore aujourd’hui emblématiques par leur conception structurelle innovante. A ce titre, ils avaient donc tout naturellement leur place au sein de la galerie d’architecture moderne et contemporaine de la Cité de l’architecture.

C’est de la mise au point de ce projet de maquette que j’ai donc été chargé par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine sous la direction de Stéphanie Quantin-Biancalini, conservateur du Patrimoine et d’Émilie Régnault, attachée de conservation adjointe au conservateur, ma mission allant cette fois encore de la conception du projet (proposition de principes, de cadrages), de la réalisation des plans de la maquette, de la réalisation du dossier d’appel d’offres puis du suivi de réalisation. Du fait des orientations données par la Cité, dans le cas présent, l’élaboration des plans s’avèrera comme on le verra plus loin particulièrement importante. 

Les demandes de la Cité concernant la maquette étaient principalement de trois ordres :
  • D’une part, établir un projet de maquette mettant en avant la prouesse technique que constituait la réalisation des hangars d’Orly sous la forme d’une maquette spectaculaire destinée à être un objet majeur de la collection. La proximité dans les présentations de la galerie moderne et contemporaine de la Cité d’une magnifique maquette d’étude en soufflerie de la voûte du CNIT fixait un objectif en termes d’ampleur et de qualité esthétique de l’objet à réaliser.
  • Ensuite, pour expliciter les principes mis en œuvre pour la construction des hangars, montrer le bâtiment en phase de construction en détaillant le chantier, un peu comme ce qui avait était fait pour la maquette du Crystal Palace présente dans les collections.
  • Enfin, autant que possible, pour être au plus près de la réalité constructive des hangars, réaliser la maquette en béton ou dans une technique s’en rapprochant, réaliser cette maquette dans un matériau synthétique n’ayant aucun sens. 
Pour répondre à cette demande, j’ai très vite proposé de ne pas faire qu’une maquette mais deux. En fait, pour être spectaculaire et suffisamment précise pour montrer l’organisation du chantier, vu les dimensions des bâtiments, une maquette des hangars d’Orly ne pouvait être que partielle, ne montrer qu’un fragment d’un hangar. Or il me semblait important de montrer l’ampleur du projet, que ce que l’on explicitait dans cette grande maquette partielle, l’apparente simplicité de la conception du projet et la technicité du chantier, avait permis la construction de deux grandes halles de 300m de long. Cela pouvait bien sûr par d’autres supports, des photographies par exemple, mais une maquette d’ensemble à une échelle plus petite me semblait préférable. Ce principe a été retenu et j’ai donc établi les projets définitifs et réalisé les plans des deux maquettes en fonction.

Plans d'ensemble des deux maquettes
A gauche la maquette au 1/100ème, à droite la maquette au 1/500ème

La première maquette partielle a donc été conçue à l’échelle relativement grande du 1/100ème, échelle testée en salle au moyen de formes découpées en carton à l’échelle de la maquette. De grandes dimensions, volontairement spectaculaire, elle s’inspire directement d’une photographie du chantier prise lors des toutes premières phases de la construction, quand seuls quelques arcs étaient déjà construits. Tout en restant fidèle à la réalité constructive des bâtiments et à la réalité du chantier, représenter un des deux hangars à ce stade de construction a plusieurs intérêts :
  • D’une part, montrer au visiteur plusieurs arcs déjà construits permet de faire comprendre l’ampleur, l’élégance et la finesse de la gigantesque structure en béton tout en illustrant la logique constructive basée sur la répétition d'un même élément pour constituer la voûte du hangar.
  • D’autre part, montrer un des deux hangars en chantier et évoquer suffisamment précisément au vu de l’échelle de la maquette les techniques de construction permet d’expliciter la corrélation entre la forme obtenue et les moyens techniques employés.
Cette première maquette présente donc une tranche de 8 éléments de la voûte en chantier et se compose comme suit :
  • A l’avant de la maquette, 4 arcs complets, terminés. Hauts à l’échelle de 60 cm environ, ils renforcent l’impression de prouesse technique que la maquette doit transmettre. Hauts et élégants, ils dessinent un vide impressionnant même en maquette.
  • A l’arrière, 4 pied-droits en attente du coulage des arcs, comme dans la réalité du chantier. Leur tranche supérieure révèle la finesse de la voûte en béton aussi fidèlement que l’échelle de la maquette le permet.
  • A l’arrière toujours, la coupe sur deux pied-droits s’inspirant de documents publiés à l’époque de la construction permet là encore de percevoir la finesse de la voûte béton. Cette coupe se prolonge dans l’épaisseur de la maquette par une représentation sommaire des fondations, montrant ainsi leur peu de profondeur.
  • Enfin, pièce peut-être tout aussi spectaculaire que les arcs de 60 cm, le cintre utilisé pour la construction des voûtes est représenté en totalité, en position levée, avec les coffrages nécessaires au coulage du béton sur un des versants. Cette représentation du cintre est importante car c’est elle qui rend compréhensible le lien direct entre technique de construction et forme. Le chantier est par ailleurs évoqué de manière schématique, des personnages permettant de donner l’échelle de la construction.
Extraits du carnet de plan de la maquette au 1/100ème
Maquette au 1/100ème en cours de finition

La seconde maquette d’ensemble est-elle au 1/500ème et montre les deux hangars finis. Cette seconde maquette a le double intérêt de rendre d’une part encore plus évidente l’ampleur des deux constructions, ce qui ne sera pas perceptible sur la grande maquette partielle au 1/100ème et d’illustrer davantage encore les principes constructifs basés sur la répétition d’un même élément quatre-vingt fois pour constituer les voûtes.

Extrait du carnet de plan de la maquette au 1/500ème
Maquette au 1/500ème en cours de finition

Établir les plans de ces deux maquettes a été un travail complexe, qui a nécessité de faire la synthèse de tous les éléments disponibles, tant graphiques ou photographiques que textuels et de les retranscrire graphiquement. L’existence d’un film réalisé pendant le chantier et conservé au Musée d’art moderne a été d’un grand secours pour comprendre la logique du chantier, son organisation et ses étapes et pour établir un scénario de reproduction schématique en présentant les éléments les plus significatifs. Ce film est d’ailleurs resté un élément de référence central pendant tout le temps de la réalisation des maquettes. Le scénario retenu a été de représenter un arc en phase de démoulage, ce qui a permis de montrer un maximum d’information : cintre en position haute, éléments de coffrage en place et stockés au sol en attente de la prochaine phase de coulage, grues de manutention, etc… Bien sûr, au vu de l’échelle, une simplification des détails a été nécessaire, mais cette simplification s’est faite dans le souci d’être le plus précis possible pour présenter un scénario cohérent à un temps donné du chantier. 

L’une des principales questions à résoudre une fois les plans établis restait néanmoins dans quel matériau réaliser la grande maquette. Si une réalisation en un matériau synthétique type résine, impression 3D ou plastique pouvait être acceptable pour la maquette au 1/500ème, elle restait comme on l’a dit plus haut tout à fait inappropriée pour celle au 1/100ème, pour laquelle le souhait de la Cité de l’Architecture de s’approcher au plus près de la réalité constructive du bâtiment réel orientait les choix techniques. Le béton, bien que tentant, apparût malheureusement comme trop grossier pour obtenir la finesse nécessaire pour une maquette à cette échelle mais d’autres techniques équivalentes restaient possibles.

Cette fois encore, c’est l’atelier de maquettes de l’ETSAV à Barcelone qui a été retenu à l’issue d’un appel d’offre comprenant la présentation d’échantillons, option retenue car permettant de s’assurer que les entreprises répondant à l’appel d’offre proposent dès ce stade des matières et des techniques correspondant aux attentes. 

La maquette au 1/100ème a finalement été réalisée en plâtre-céramique teinté, technique restant relativement proche de la réalité constructive (réalisation des arcs par coulage dans un moule) et permettant d’obtenir une matière se rapprochant du béton. Néanmoins, de nombreux essais furent nécessaires pour obtenir la bonne teinte et la bonne matière. Comme dans la réalité, la maquette est constituée d’arcs réalisés séparément et assemblés sur un socle commun, chaque arc étant coulé à part. Mais les différentes phases de moulage (modélisation 3D, réalisation de maître-modèles en polyuréthane, fabrication des moules en silicone, coulage des pièces en plâtre-céramique) s’avérèrent longues et complexes à mettre au point. Le résultat est néanmoins exceptionnel et à l’hauteur de l’engagement de l’équipe de maquettistes. 

Maquette au 1/100ème
Échantillons, maître-formes et tirages en plâtre-céramique

Une fois les arcs montés sur le socle, le cintre, les grues et les autres éléments du chantier ont pu être ajouté, donnant à la maquette son aspect définitif.

La seconde maquette d’ensemble est elle plus classique. Elle a été réalisée en polyuréthane usiné mécaniquement à partir de modélisations 3D, puis peinte.




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